Ernest Renan

Publié le par Xavier Cottier

ERNEST RENAN


ou "Je vous salue, jardins de la Grèce"

(1823-1892)

 

        Qui regrette l'affrontement des idées et non celui des hommes devrait aimer Renan et son temps. Il faut dire que ces hommes avaient des munitions pour se "battre" : culture, humour, finesse, répartie et conviction, toutes choses qu'il faut rechercher aujourd'hui sous le boisseau de déchets qui nous sont jetés chaque jour en pâture et par toutes les trappes de nos cages individuelles!

         Renan fut, sans aucun doute, l'un des auteurs les plus lus de son temps, peut-être avec Sainte-Beuve, sans faire référence ici aux Grands (Balzac, Flaubert, Stendhal et bien sûr Hugo) qui, tous, dépassaient les ventes des essayistes. Or, Renan fait plutôt partie de cette dernière catégorie bien qu'il eût écrit une/la "Vie de Jésus" qui le fit frapper du pêché mortel d'iconoclastie.

         Notre Ernest est né en Bretagne le 27 février 1823. Ses origines par l'entremise de ses parents le poussent à la prêtrise, vocation à laquelle il renoncera après avoir découvert la littérature, inspiratrice d'évasion ainsi que la philosophie allemande. L'éducation catholique avait cette richesse de pouvoir fournir la foi (le catéchisme) et la philosophie (le moyen d'en faire un bon usage) et, ce faisant, a fait sortir de ses collèges des milliers d'hommes animant leur foi par le doute.

Comme de droit, il est reçu premier à l'agrégation de philosophie. Diable! Puis en 1849 et 1850 est chargé de mission et se rend en Italie ce qui, nous le verrons, lui permettra de lancer un mot superbe sur Eze. Il est doué parce qu'il a travaillé et il travaille parce qu'il est doué. Ainsi, après avoir étudié l'Hébreu, il prépare une somme sur Averoes et dirige la chaire d'Hébreu du Collège de France mais en sera démis pour ces seuls mots "Jésus, cet homme admirable"! Il "finira" académicien et nous laissera donc cette "Vie de Jésus" qui, pratiquement mise à l'index, lui assura une célébrité sulfureuse.

           Mais qu'en est-il de Renan à Eze?   

L'anecdote nous fut conté par Ferdinand Bac  qui dans la magnifique et sans âge "Revue des Deux Mondes" nous fait la description suivante de la visite d'Ernest Renan à Eze :

            " Il me souvient d’un séjour que fit Renan à la villa Orangini à Nice dans la famille de M. Henri Germain. Mme Renan, assise sur un tabouret à ses pieds, lui passait des tartines beurrées et couvait ses belles paroles, attentive à ses moindres mouvements. Après déjeuner, il arpentait lentement la pergola, couverte de roses, dont il humait les parfums de miel avec la naïve volupté des prêtres qui respirent dans les chapelles le calice des lis de la Vierge. Il l’appelait pourtant " l’allée de la Philosophie ", mais à chaque heure les propos les plus rares y tombaient dans un silence religieux. C’était une prière sur l’Acropole dans les jardins du grand financier. Après dîner, il faisait à haute voix la lecture des bonnes feuilles du Prêtre de Némi et les heures s’écoulaient dans un enchantement païen. Sa politesse ne contrariait jamais, ou alors, avec une politesse plus grande encore, il contredisait. C’était un honneur suprême qu’il accordait parfois à ceux qu’il estimait le plus, à Emile Ollivier entre autres. Puis dans le vaste landau à deux chevaux, ses hôtes lui donnaient le plaisir d’une promenade au bord de cette Méditerranée qu’il aimait avec une ferveur gourmande, et un jour, passant devant une des gorges inaccessibles, au bas de la route d’Eze, qui a conservé aujourd’hui encore son aspect rude et solennel, ses flèches de cyprès et ses buissons sauvages, il demanda à ce que l’on arrêtât la voiture et s’écria : " Je vous salue, jardins de la Grèce ! " F. Bac, " L’Art des jardins ", septembre 1925."

          Quelle intrinsèque beauté que ce "Je vous salue, jardins de la Grèce!". Peut-être le plus beau compliment qu'on ait jamais fait à Eze.

            Je suis presque tenté, ce soir, de me rendre sur notre pergola aux pilastres athéniens et d'y lancer à la face des chantiers en cours :

"Je vous salue, jardins qu'on agresse"

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