Le Caveau des Légendes III - Lettre inédite de Fred Zeller

Publié le par Xavier Cottier

Lettre de Frédéric Zeller à André Parinaud.

Eze-Village, le 30 Septembre 1950


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Pour répondre d'une manière précise à la seconde partie de votre lettre, je crois nécessaire de souligner qu'il n'est guère possible de répéter d'une façon systématique avec n'importe qui et n'importe où, une expérience qui ne peut être valable que dans la mesure où elle reste une création artistique s'alimentant aux sources du terroir et non une formule mécanique d'illustration utilisable par des entrepreneurs quelconques.


... Du reste, ceux qui se sont groupés autour du « Caveau des Légendes » ont vu, dans ce dernier, non pas un thème illustratif, mais une tentative pour définir les sources d'une liberté et d'une sincérité spirituelles qui conditionnent les nouveaux départs, dans toutes les directions de la Création artistique. C'est pourquoi, nous sommes très heureux de nous rencontrer sur un même plan et de constater que des hommes voulant préserver une pensée indépendante se retrouvent pour défendre en commun un patrimoine dont sont tributaires les possibilités de renouvellement.


Nous qui sommes des rebelles, qui refusons la domestication et les ultimatums auxquels se sont malheureusement pliés trop d'intellectuels, nous croyons le moment venu de reconnaître tout un passé d'efforts (éclatants ou obscurs) vers la liberté de pensée, le non-conformisme, l'indépendance de l'individu humain, la création sans consigne ni contrôle comme premier acquit de civilisation que nous ayions à défendre aujourd'hui...


Comme vous avez pu vous en rendre compte lors de votre passage à Eze, mes peintures et figurines recréant toute l'histoire de ce village médiéval visent du même coup tous les moments historiques d'un certain destin.
Les artistes et écrivains qui se sont déjà retrouvés à Eze-Village comme ceux que nous voulons voir s'y rencontrer doivent donc, à mon avis, prendre conscience de ce que l'homme de notre époque ne se réalisera qu'en sauvegardant tout ce qui, dans l'ordre individuel et collectif en fait un être particulier...

 

Comme vous pouvez vous en rendre compte, Eze-Village symbolise pour nous le foyer d'une pensée qui n'abdique pas et qui doit permettre à des hommes de penser sans rougir à une époque où, comme le dit si justement Albert Camus :

« Racine lui-même rougirait d'avoir écrit Bérénice et irait s'inscrire « a la première permanence du coin. »


Nous revendiquons pour nous-mêmes et pour les autres hommes la faculté de vivre et de créer en choisissant nos propres références dans le passé. Et nom n'entendons soumettre ni nous-mêmes, ni personne à des impositions sociales extérieures à une liberté personnelle dont la liberté de l'artiste jusqu'ici fut l'expression la plus haute.


Au milieu du désarroi consécutif à ces deux dernières guerres et qui ont marqué profondément notre génération, face à l'effondrement des valeurs humaines, à la lassitude qui gagne peu à peu les meilleurs éléments, devant l'insolence des médiocres, à la solitude grandissante où se trouvent plongés les artistes et les poètes dans un monde mécanisé et menacé d'une destruction épouvantable, Eze prend l'allure d'un symbole...


Eze est pour nous le bastion d'une pensée indépendante dans un siècle où l'on pense de moins en moins. La situation de ce vieux et pittoresque village féodal, construit comme un nid d'aigle, nous permet de ressentir toute la poésie du terroir et les grands moments du passé qui nous poussent plus que jamais à ne pas désespérer.


Fred ZELLER

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